2023-12-13 

Mieux comprendre le développement de la tête humaine grâce à sa toute première cartographie 3D chez l’embryon

Améliorer nos connaissances du développement des structures complexes qui composent la tête humaine et ainsi mieux comprendre les anomalies congénitales causant des malformations : c’est le défi auquel une équipe de chercheuses et chercheurs de l’Inserm, du CNRS et de Sorbonne Université à l’Institut de la vision, de l’Université Claude Bernard Lyon 1 et des Hospices civils de Lyon est en passe de répondre. Grâce à une technique innovante permettant de rendre les structures crâniennes transparentes puis de prendre des photos 3D des cellules qui les composent, cette équipe de recherche a pu établir la toute première carte tridimensionnelle de la tête humaine embryonnaire. Ces résultats, à paraître dans Cell, ont déjà permis de mieux comprendre comment se forment certaines structures complexes de la tête, comme les glandes lacrymales et salivaires ou les artères de la tête et du cou. Ils ouvrent la voie à de nouveaux outils d’étude du développement embryonnaire.

La tête est la structure la plus complexe du corps humain. Outre les muscles et la peau qui la protègent, et le cerveau qu’elle abrite dans le crâne, elle contient notamment des vaisseaux, des nerfs ainsi que des glandes endocrines (qui sécrètent des hormones directement dans la circulation sanguine), comme l’hypophyse, et exocrines (qui sécrètent des substances vers le milieu extérieur), comme les glandes salivaires, qui produisent la salive, ou les glandes lacrymales, qui sécrètent les larmes.

Les connaissances actuelles sur le développement de la tête humaine et des structures complexes qui la composent sont rudimentaires et proviennent d’études réalisées pour la plupart dans la première moitié du xxe siècle, à l’aide de simples coupes histologiques. Ainsi, bien que des malformations de la tête existent chez environ un tiers des bébés présentant des anomalies congénitales, les mécanismes qui contrôlent le développement de la tête humaine sont encore mal compris.

Une équipe de recherche dirigée par Alain Chédotal, directeur de recherche Inserm à l’Institut de la vision (Inserm/CNRS/Sorbonne Université) et professeur au laboratoire MéLiS des Mécanismes en sciences intégratives du vivant (Inserm/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/Hospices civils de Lyon), et par Yorick Gitton, chargé de recherche CNRS également à l’Institut de la vision, a utilisé une méthode de microscopie innovante pour apporter un nouvel éclairage sur le développement de la tête humaine.

La technologie mise en œuvre avait précédemment été utilisée chez l’embryon par l’équipe pour étudier le développement d’autres organes humains[1]. Elle est appelée transparisation car elle permet de rendre les organes transparents à la lumière. L’échantillon transparisé est ensuite imagé en 3D à l’aide d’un microscope spécial qui scanne avec une fine feuille de lumière laser. Ceci permet de localiser in situ les cellules qui constituent les tissus embryonnaires.

Les chercheuses et chercheurs sont parvenus à appliquer cette technique à des embryons à différents stades de développement, issus de la biobanque de tissus humains constituée dans le cadre du programme HuDeCA (Human Developmental Cell Atlas) coordonné par l’Inserm[2]. Grâce aux clichés obtenus, ils sont ainsi parvenus à dresser la première carte tridimensionnelle de la tête humaine embryonnaire[3].

Dans un second temps, l'équipe de recherche a utilisé la réalité virtuelle pour analyser les images 3D et « naviguer » ainsi virtuellement dans les embryons. « Cela nous a permis de découvrir des caractéristiques jusqu’alors inconnues du développement des muscles, des nerfs et des vaisseaux sanguins crâniens, du crâne et des glandes exocrines crâniennes, indique Alain Chédotal. Par exemple, les tout premiers stades de développement des glandes salivaires et lacrymales n’avaient jamais pu être étudiés chez l’être humain. Nos travaux nous ont permis de commencer à visualiser et à mieux comprendre les mécanismes à l’origine de la mise en place de ces structures extrêmement complexes anatomiquement », ajoute-t-il.

Les scientifiques ont également mis en place une interface web (Hudeca.com) permettant non seulement d’accéder aux images obtenues dans ces travaux, mais également à des modèles pour l’impression 3D et à des reconstructions 3D interactives d’embryons humains. Cette plateforme fournit ainsi de précieuses ressources qui pourront également contribuer à la formation des étudiants en médecine.
 
Dans de prochains travaux, l’équipe de recherche va tenter de cartographier toutes les cellules de certains organes, comme la rétine. « À ce stade, c'est un peu comme si nous avions cartographié les continents et les pays mais qu’il nous restait à positionner les villes et les habitants », explique Alain Chédotal, dont l’équipe va aussi collaborer avec des médecins pour appliquer la technologie à des prélèvements pathologiques. « Les nouvelles connaissances sur l’embryologie humaine apportées par ces travaux, ainsi que les nouveaux outils qui y sont développés, ont des implications importantes pour la compréhension des malformations cranio-faciales et des troubles neurologiques, ainsi que pour l’amélioration des stratégies diagnostiques et thérapeutiques », conclut le chercheur.

[1] Voir à ce sujet notre communiqué de presse du 23 mars 2017 : https://presse.inserm.fr/lembryon-humain-comme-vous-ne-lavez-jamais-vu/27807/
[2] Lancé en 2019, le programme transversal HuDeCa porté par l’Inserm a pour objectif de construire le premier atlas des cellules de l’embryon et du fœtus humain. Il ambitionne également la structuration de la recherche en embryologie humaine au niveau français et le développement des bases de données. À plus long terme, ce programme devrait servir de fondement à la compréhension de l’origine des maladies chroniques ou des malformations congénitales.
[3] À l’exception spécifique du cerveau, qui n’est pas une structure étudiée dans ces travaux.

 
Sources
A tridimensional atlas of the developing human head
Raphael Blain1, Gérard Couly1, Eimad Shotar1, 2, Joséphine Blévinal1, Maryne Toupin3, Anais Favre1, Ali Abjaghou1, Megumi Inoue1, Edwin Hernández-Garzón1, Frédéric Clarençon2, Frédéric Chalmel3, Séverine Mazaud-Guittot3, Paolo Giacobini4, Yorick Gitton1, * and Alain Chédotal1, 5, 6, *,#
1 Sorbonne Université, Inserm, CNRS, Institut de la Vision, Paris, France
2 Department of Interventional Neuroradiology, Pitié-Salpêtrière Hospital, Paris, France, Sorbonne Université, Paris, France
3 Inserm, EHESP, Univ Rennes, Irset (Institut de recherche en santé, environnement et travail), UMR_S 1085, Rennes, France
4 Univ. Lille, Inserm, CHU Lille, U1172 - LilNCog - Lille Neuroscience & Cognition, Lille F-59000, France
5 Institut de pathologie, groupe hospitalier Est, hospices civils de Lyon, Lyon, France
6 University Claude Bernard Lyon 1, MeLiS, CNRS UMR5284, Inserm U1314, 69008, Lyon, France
* corresponding authors
# lead contact

https://doi.org/10.1016/j.cell.2023.11.013

 

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