2024-12-11
Stéatohépatite associée à un dysfonctionnement métabolique (MASH) : il n’existe pas un mais deux types de maladie
La MASH, anciennement connu sous le nom de la NASH, est la maladie hépatique chronique la plus fréquente, avec près de 20 % de la population adulte mondiale concernée. Une nouvelle étude révèle que contrairement à ce qui était admis jusqu’ici, il n’existe pas une seule forme de MASH mais deux. Elles se distinguent à la fois par des caractéristiques biologiques et des progressions différentes. L’une est d’origine génétique quand l’autre est la conséquence de désordres métaboliques. Cette découverte faite au CHU de Lille dans le cadre du RHU PreciNASH, un vaste projet de recherche hospitalo-universitaire coordonné par l’Inserm, a nécessité la collaboration de plusieurs équipes scientifiques issues d’Inria, du CNRS, de l’université, du CHU, et de l’Institut Pasteur de Lille[1]. Cette étude fait l’objet d’une publication dans Nature Medicine et pourrait marquer un tournant dans la façon d’appréhender la maladie sur le plan clinique et thérapeutique.
La stéatose hépatique métabolique (MASLD) est caractérisée par un excès de gras dans le foie. Cette maladie n’est pas nécessairement grave, mais si la graisse continue à s’accumuler, le foie devient le siège d’une inflammation appelée hépatite. On parle alors plus précisément de « stéatohépatite associée à un dysfonctionnement métabolique » (MASH). Dans ce cas, l’inflammation ne disparait pas, elle va au contraire s’aggraver avec le temps et peut évoluer vers la fibrose du foie[2], voire vers une cirrhose, avec un risque de cancer hépatique.
Deux types de MASH
La progression vers la MASH est variable d’un patient à un autre, à la fois en ce qui concerne sa sévérité et les complications associées. Cela suggère qu’il existe différents types de MASH. Pour vérifier cette hypothèse, des équipes lilloises regroupées dans un consortium international coordonné par le Pr François Pattou[3], ont eu recours à plusieurs cohortes de patients et à l’intelligence artificielle.
En analysant les données cliniques et de biopsie de foie de 1800 patients par un « algorithme », ils ont mis en évidence deux profils distincts de patients présentant un risque de MASH. Ces deux profils peuvent être distingués sur la base de seulement six variables cliniques et biologique simples : l’indice de masse corporelle, le taux d’enzyme hépatique alanine aminotransférase (ALT), l’âge, le taux de LDL cholestérol, le taux de triglycérides (un type d’acides gras), et celui d’HbA1c qui reflète le taux moyen de glucose dans le sang.
Les scientifiques montrent notamment que l’un des deux groupes de patients est caractérisé par un taux de triglycérides et d’HbA1c élevés et l’autre par un taux anormal d’enzyme hépatique ALT. Ces résultats ont été obtenus à partir de la cohorte ABOS, composée de personnes suivies au CHU de Lille, dans le cadre du projet européen IMI Sophia. Ces patients en situation d’obésité ont accepté la réalisation d'une biopsie hépatique dans le cadre d’une chirurgie de l’obésité. Les principaux résultats ont ensuite été validés à l’aide de quatre cohortes européennes indépendantes en Italie, Finlande, Belgique et au Royaume-Uni.
Forts de ces observations, le Pr François Pattou et ses collègues sont allés plus loin dans l’analyse des différents cas de MASH issus de la cohorte lilloise. Ils ont découvert que les deux profils de patients identifiés présentaient en fait deux formes de MASH différentes.
Origine génétique ou cardio-métabolique
Le premier groupe de patients qui présente un taux anormal d’enzyme hépatique ALT développe une MASH spécifique du foie, d’origine génétique, caractérisée par un dysfonctionnement hépatique qui conduit le foie à produire des acides gras qui s’accumulent à l’intérieur de cet organe.
Le deuxième groupe qui a des taux élevés de triglycérides et d’HbA1c présentent une MASH de type cardio-métabolique. Dans celle-ci, des lipides circulants sont importés dans foie via le sang.
« Ces deux formes ne peuvent pas être distinguées par la biopsie hépatique qui sert au diagnostic de la MASH et qui permet seulement de constater l’association d’une stéatose et d’une inflammation dans le foie. En revanche, nous montrons ici que les mécanismes physiopathologiques conduisant à l’apparition de ces deux formes de la maladie ainsi que leur progression, diffèrent », clarifie Stefano Romeo, spécialiste suédois des maladies métaboliques et chercheur associé de l’université de Lille.
Concrètement, la MASH spécifique du foie apparait chez des personnes plus jeunes et provoque essentiellement des maladies hépatiques graves alors que la seconde, de type cardio-métabolique, expose aussi au diabète de type 2 et à la survenue d’accidents cardiovasculaires.
« Ce travail permet de stratifier les cas de MASH en deux endotypes distincts, caractérisés chacun par des mécanismes biologiques spécifiques et une progression clinique différente », résume Francois Pattou.
« Il s’agit d’une avancée importante vers une médecine de précision, avec l’idée que nous pourrions adapter à l’avenir la prise en charge des patients selon le type dont ils sont atteints. En particulier, plusieurs médicaments sont en développement pour lutter contre cette maladie, avec des résultats hétérogènes. Il serait utile de les évaluer de façon distincte selon le type de MASH », précise le professeur Philippe Mathurin, hépatologue, également impliqué dans le projet.
Pour accompagner ces prochaines étapes, l’équipe a mis au point l’application RShiny librement accessible en ligne pour les cliniciens : ce programme permet d’identifier le type de MASH d’un patient, sur la seule base des six variables simples prises en compte dans ce travail.
« Cet outil statistique n’est pas un dispositif médical, mais permet aux cliniciens de classer bien facilement de nouveaux patients sans avoir besoin de connaissance en programmation » conclut Guillemette Marot, biostatisticienne, impliquée dans la construction des deux endotypes.
[1] Ce travail a été menée dans le cadre du projet RHU PreciNASH, coordonné par l’Inserm et impliquant l’Université de Lille, le CHU de Lille, L’Institut Pasteur de Lille, le CNRS. Il a été mené en lien avec le laboratoire Sanofi.
[2] Fibrose : accumulation de tissu cicatriciel non fonctionnel
[3] François Pattou est chef du service de chirurgie générale et endocrinienne au CHU de Lille, et directeur du laboratoire de recherche translationnelle sur le diabète (U1190, Inserm, Institut Pasteur de Lille, Université de Lille, CHU de Lille)
Sources
Data-driven cluster analysis identifies distinct types of metabolic dysfunctionassociated steatotic liver disease
Violeta Raverdy 1,2,24, Federica Tavaglione 3,4,24, Estelle Chatelain5,24, Guillaume Lassailly6,24, Antonio De Vincentis7,8, Umberto Vespasiani-Gentilucci3,4, Sami F. Qadri 9,10, Robert Caiazzo1,2, Helene Verkindt1,2, Chiara Saponaro1 , Julie Kerr-Conte1 , Gregory Baud1,2, Camille Marciniak1,2, Mikael Chetboun1,2, Naima Oukhouya-Daoud1,2, Samuel Blanck11, Jimmy Vandel 5 , Lisa Olsson 12, Rima Chakaroun12, Viviane Gnemmi13,14, Emmanuelle Leteurtre13,14, Philippe Lefebvre15, Joel T. Haas 15, Hannele Yki-Järvinen9,10, Sven Francque 16,17, Bart Staels 15, Carel W. Le Roux 18, Valentina Tremaroli 12, Philippe Mathurin6 , Guillemette Marot11,19, Stefano Romeo 12,20,21,22,23 & François Pattou 1,2
1 Translational Research for Diabetes UMR 1190, University of Lille, Inserm, Institut Pasteur Lille, CHU Lille, Lille, France.
2 Department of General and Endocrine Surgery, Centre Hospitalier et Universitaire de Lille, Lille, France.
3 Operative Unit of Clinical Medicine and Hepatology, Fondazione Policlinico Universitario Campus Bio-Medico, Rome, Italy.
4 Research Unit of Clinical Medicine and Hepatology, Department of Medicine and Surgery, Università Campus Bio-Medico di Roma, Rome, Italy.
5 US 41 - UAR 2014 - PLBS Bilille, University of Lille, CNRS, Inserm, CHU Lille, Institut Pasteur de Lille, F-59000, Lille, France.
6 Department of Hepato-Gastroenterology CHU Lille, University of Lille, Inserm INFINITE-U1286, Lille, France.
7 Operative Unit of Internal Medicine, Fondazione Policlinico Universitario Campus Bio-Medico, Rome, Italy.
8 Research Unit of Internal Medicine, Department of Medicine and Surgery, Università Campus Bio-Medico di Roma, Rome, Italy.
9 Department of Medicine, University of Helsinki and Helsinki University Hospital, Helsinki, Finland.
10 Minerva Foundation Institute for Medical Research, Helsinki, Finland.
11 ULR 2694 METRICS: Évaluation des technologies de santé et des pratiques médicales, University of Lille, CHU Lille, F-59000, Lille, France.
12 Wallenberg Laboratory, Department of Molecular and Clinical Medicine, Institute of Medicine, University of Gothenburg, Gothenburg, Sweden.
13 Cancer Heterogeneity Plasticity and Resistance to Therapies, CANTHER-UMR9020-U1277 - CNRS, Inserm, CHU Lille, University of Lille, Lille, France.
14 Department of Pathology, CHU Lille, University of Lille, Lille, France.
15 Nuclear Receptors, Metabolic and Cardiovascular Diseases - U1011, University of Lille, Inserm, CHU Lille, Institut Pasteur Lille, Lille, France.
16 Department of Gastroenterology Hepatology, Antwerp University Hospital, Edegem, Belgium.
17 InflaMed Centre of Excellence, Laboratory for Experimental Medicine and Paediatrics, Translational Sciences in Inflammation and Immunology, Faculty of Medicine and Health Sciences, University of Antwerp, Wilrijk, Belgium.
18 Diabetes Complications Research Centre, University College Dublin, Dublin, Ireland.
19 MODAL: Models for Data Analysis and Learning, Inria, F-59000, Lille, France.
20 Clinical Nutrition Unit, Department of Medical and Surgical Sciences, University Magna Graecia, Catanzaro, Italy.
21 Department of Cardiology, Sahlgrenska University Hospital, Gothenburg, Sweden.
22 Department of Medicine Huddinge (H7), Karolinska Institutet and University Hospital, Stockholm, Sweden.
23 Department of Molecular and Clinical Medicine, Institute of Medicine, Gothenburg University, Gothenburg, Sweden.
24 These authors contributed equally: Violeta Raverdy, Federica Tavaglione, Estelle Chatelain, Guillaume Lassailly.
Nature Medicine, décembre 2024
DOI : 10.1038/s41591-024-03283-1